La non-conformité de l’offre en détail
La non-conformité des offres s’est complexifiée avec le Code 2006. Transposant littéralement la directive des marchés publics 2004/18, le Code des marchés publics (CMP) distingue désormais trois (I) et même quatre – si l’on compte l’offre anormalement basse – types de non-conformité. Nous n’étudierons ici que l’offre inappropriée (II), irrégulière (III) ou inacceptable (IV), notions recouvrant l’ancienne terminologie d’offre non-conforme. Nous étudierons ensuite leur impact dans les procédures de passation les plus usuelles (V).
I. Les trois formes de non-conformité
Il nous faut tout d’abord souligner que la définition des trois formes de non-conformité est donnée par l’article 35 du CMP, qui liste les marchés qui peuvent être négociés, et non, comme on aurait pu s’y attendre, par l’article 53 qui traite de l’examen des offres, et où il est juste évoqué que « les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées ».Si la définition des diverses non-conformités est posée par l'article 35 du CMP, c'est afin de bien mettre en avant l’impact procédural du choix de la non-conformité invoquée. En effet, la définition de l’offre irrégulière ou inacceptable est donnée par l’article 35-I, 1° qui autorise la procédure négociée après publicité et mise en concurrence, si l’appel d’offres ou le dialogue compétitif n’a donné lieu qu’à des offres irrégulières ou inacceptables.De même, c’est l’article 35-II, 3° du Code des marchés publics qui définit l’offre jugée inappropriée. En effet, c'est ce même article qui autorise à ce que, pour les marchés passés suite à un appel d’offres pour lesquels aucune candidature ou offre n’a été déposée ou pour lesquels seules des offres inappropriées ont été déposées, le pouvoir adjudicateur puisse recourir à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence.
II. L’offre inappropriée
L’offre inappropriée est définie par l’article 35-II, 3° du CMP comme « une offre qui apporte une réponse sans rapport avec le besoin du pouvoir adjudicateur et qui peut en conséquence être assimilée à une absence d'offre ». La direction des Affaires juridiques (DAJ) explique dans sa fiche sur « la déclaration d’infructuosité » qu’« il s’agit donc bien d’une offre ne répondant pas à la solution technique et administrative définie par le pouvoir adjudicateur ».On peut donc s'interroger sur la raison pour laquelle, suite à un appel d’offres sans aucune offre ou aucune offre appropriée, le Code des marchés publics autorise une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence ? Tout simplement parce que cette situation signifie que le secteur commercial ne pouvait répondre au besoin exprimé par le pouvoir adjudicateur et que cela l’autorise à conclure directement avec l’entreprise en capacité de répondre à sa demande.C’est pourquoi la DAJ précise au sujet de l’infructuosité résultant d’une offre inappropriée que l'« on prendra garde qu’une déclaration d’infructuosité n’est pas justifiée si une simple mise au point du marché permet à l’offre d’être conforme aux exigences du cahier des charges ». Ce qui éclaire la notion même de l’offre inappropriée.
III. L’offre irrégulière
L’offre irrégulière est définie par l’article 35-I, 1° du CMP comme « une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ».Sont visées ici les offres qui ne respectent pas la publicité, le règlement de consultation ou les exigences prévues au cahier des charges par le pouvoir adjudicateur. Le Conseil d’État, par l’arrêt du 23 novembre 2005, SARL Axialogic, n° 267494, considérait d’ailleurs que le règlement de consultation d’un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. Cependant, depuis l’arrêt du 22 décembre 2008, Ville de Marseille, n° 314244, le Conseil d’État a infléchi sa position et considère non seulement que « l’entité adjudicatrice peut s’affranchir des exigences du règlement de consultation quand la fourniture des éléments demandés ne présente pas d’utilité pour l’appréciation de l’offre », mais qui plus est, qu’une offre ne peut être déclarée irrégulière par le pouvoir adjudicateur si l’absence des éléments demandés ne présente pas d’utilité pour l’appréciation de l’offre.Cela signifie que les pouvoirs adjudicateurs qui demandent à ce que leur soit remis dans l’offre, au surplus de l’acte d’engagement, le cahier des clauses administratives particulières ou le cahier des clauses techniques particulières paraphé et signé ne peuvent déclarer l’offre irrégulière si un candidat oublie cette prescription.
IV. L’offre inacceptable
L’article 35-I-1 du CMP indique qu'« une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché après évaluation du besoin à satisfaire ne permettent pas au pouvoir adjudicateur de la financer ».Traditionnellement, l’offre inacceptable est celle qui ne peut être acceptée financièrement par la collectivité. Mais cela ne signifie pas, comme beaucoup le pensent, que l’offre qui semble beaucoup trop chère puisse être qualifiée d’inacceptable. Comme le dit la DAJ, « dès lors que le budget du pouvoir adjudicateur lui donne la possibilité d’accepter l’offre, celle-ci ne peut pas être rejetée comme inacceptable, même si son prix est largement supérieur au montant estimé du marché ». Le pouvoir adjudicateur ne peut pas raisonner en fonction de sa propre estimation qui peut être erronée, comme le dit le Conseil d’État dans sa décision du 24 juin 2011, Office public de l’habitat interdépartemental de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines, n° 346665.Plus surprenant est le deuxième sens donné par le CMP à l’offre inacceptable, soit celui d'une offre prévoyant des conditions d’exécution illégales, comme par exemple une offre ne respectant pas les règles relatives à la sous-traitance ou au regard de la fiscalité. Cet aspect aurait pu être utilement rattaché à la notion d’offre irrégulière qui en est beaucoup plus proche.
V. L’impact d’une offre non-conforme dans les procédures
En appel d’offres ouvert, les offres étant intangibles, l'élimination d'une offre non-conforme doit se faire et se fait avant le classement des offres. L’article 58, alinéa 3 du CMP indique, en effet, qu’avant de classer les offres, doit être examinée leur conformité en vertu de laquelle « les offres inappropriées au sens du 3° du II de l'article 35 ainsi que les offres irrégulières ou inacceptables au sens du 1° du I de l'article 35 sont éliminées. Cette élimination est effectuée par la commission d'appel d'offres pour les collectivités territoriales ».À noter que dans le cadre d’une procédure adaptée comportant une phase de négociation ou dans celles négociées avec mise en concurrence, le principe d’intangibilité des offres ne s’applique pas. C’est pourquoi l’article 66-IV du CMP, qui concerne les procédures négociées, précise que seules « les offres inappropriées au sens du 3° du II de l'article 35 sont éliminées ». De même, pour les MAPA comportant une phase de négociation, la DAJ indique au point 12.1.1 de son Guide des bonnes pratiques que « l'acheteur peut choisir de négocier même avec les candidats ayant déposé des offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ». C’est le Conseil d’État qui, par sa décision du 30 novembre 2011, Ministère de la Défense et des Anciens Combattants, en pose le principe : « Le pouvoir adjudicateur [...] peut en conséquence, dans le respect du principe d'égalité de traitement entre les candidats, admettre à la négociation les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables et ne pas les éliminer d'emblée ; qu'il doit cependant, à l'issue de la négociation, rejeter sans les classer les offres qui sont demeurées inappropriées, irrégulières ou inacceptables ; qu'ainsi, si le pouvoir adjudicateur peut, dans le cadre d'une procédure adaptée, décider d'engager une négociation avec les candidats ayant remis une offre irrégulière, il n'y est pas tenu ».
Sources :
- CMP, art. 35, 58 et 66
- « La déclaration d’infructuosité » – Fiche de la DAJ, ministère de l'Économie
- CE, 30 novembre 2011, Ministre de la Défense et des Anciens combattants, n° 353121
- CE, 24 juin 2011, Office public de l’habitat interdépartemental de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines, n° 346665
- CE, 22 décembre 2008, Ville de Marseille, n° 314244
- CE, 23 novembre 2005, Sarl Axialogic, n° 267494
- Circulaire du 14 février 2012 relative au Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics, point 12.1.1