Bref examen critique du projet de décret établissant le futur Code des marchés publics
La transposition en droit français de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics a pris la forme de l’ordonnance du 23 juillet 2015, qui devrait être complétée par le projet de décret actuellement soumis à consultation. Nous mènerons une étude volontairement critique de ce projet, en abordant dans un premier temps les points qui nous semblent les plus positifs (I), puis les points qui nous semblent problématiques et qui appellent des explications, voire des corrections (II).
I. Les avancées du projet de décret
Outre des délais procéduraux à la baisse, trois nouveautés vont permettre d’améliorer concrètement le droit des marchés publics, tout en le simplifiant. Ce sont les nouvelles définitions de la variante et de l’option, la possibilité de lancer un accord-cadre à bons de commande sans maximum en procédure adaptée (MAPA) et la modification de la définition de l’offre inacceptable. 1.1 Une nouvelle définition des options et des variantes Annoncée par la directive européenne du 26 février 2014, mais n’apparaissant pas dans l’ordonnance de transposition du 23 juillet 2015, le projet de décret adopte une nouvelle définition de la variante. L’article 45 de la directive indique que « les pouvoirs adjudicateurs peuvent autoriser les soumissionnaires à présenter des variantes ou exiger une telle présentation. » Or, en droit français, la variante était jusqu’alors une proposition émanant du candidat différente de l’offre de base et l’option renommée PSE (c'est-à-dire prestation supplémentaire éventuelle) par la direction des Affaires juridiques du ministère de l'Économie et des Finances, une proposition décrite par le pouvoir adjudicateur différente de l’offre de base.Se conformant au droit européen, la variante prévue dans le projet de décret recouvre les anciennes notions de variantes mais aussi celle des options. L’article 55 du projet de décret reprend exactement les même termes que ceux de la directive et prévoit que « les acheteurs peuvent autoriser ou exiger la présentation de variantes […] ».Dans le même temps, la notion d’option fait son apparition officielle dans les futures dispositions applicables aux marchés publics pour y prendre le même sens qu’en droit européen, c'est-à-dire une prestation supplémentaire décrite dans le cahier des charges mais rendu opérante par le pouvoir adjudicateur en cours d’exécution du marché. La nouvelle conception de l’option apparaît pour la première fois à l’article 19, alinéa 1er du projet de décret : « La valeur estimée du besoin est calculée sur la base du montant total hors taxe du ou des marchés publics envisagés, y compris les options et les reconductions. »Mais c’est l’article 134 sur « les modifications des marchés publics en cours d’exécution », en son alinéa I.1, qui permet d’en saisir pleinement le sens et la portée, en prévoyant qu'une option décrite dans le marché public initial peut permettre une modification du marché en cours d'exécution de celui-ci. Ainsi, cela peut prendre la forme d’une option d’achat en cas de crédit-bail portant sur des fournitures, comme souvent pratiqué en matière de véhicules.1.2 La possibilité de lancer un accord-cadre à bons de commande sans maximum en MAPADéjà présent à l’article 4 de l’ordonnance, la disparition du marché à bons de commande au profit d’une nouvelle définition de l’accord-cadre est précisée par le projet de décret, en son article 75 : « Lorsque l’accord-cadre ne fixe pas toutes les conditions d’exécution des prestations, il donne lieu à la conclusion de marchés subséquents dans les conditions fixées à l’article 76. Lorsque l’accord-cadre fixe toutes les conditions d’exécution des prestations, il est exécuté au fur et à mesure de l’émission de bons de commande dans les conditions fixées à l’article 77. » Conséquence logique, les pouvoirs adjudicateurs pourront dorénavant lancer des accords-cadres à bons de commande sans maximum sous forme de procédure adaptée, là où les marchés à bons de commande exigeaient une procédure formalisée. En effet, l’article 20 concernant les accords-cadres renvoie pour la computation des seuils à la « valeur maximale estimée de l’ensemble des marchés à passer ou des bons de commande à émettre », là où l’article 27, alinéa VI de l'actuel Code des marchés publics prévoit que « pour les marchés à bons de commande comportant un maximum, la valeur à prendre en compte correspond à ce maximum. Si le marché ne fixe pas de maximum, sa valeur estimée est réputée excéder les seuils de procédure formalisée définis à l'article 26. »1.3 La nouvelle définition de l’offre inacceptableDans l’actuel code, l’article 35, alinéa I.1 définit l’offre inacceptable comme celle qui ne respecte pas la législation en vigueur, ou comme celle qui dépasse les crédits budgétaires prévus par le pouvoir adjudicateur. Cette définition, en visant les aspects économique réglementaire d’une offre, n’était pas intuitive et allait à rebours de l’acceptation purement économique du terme « inacceptable ». L’article 56 modifie cette définition en supprimant l’aspect réglementaire couvert désormais par la notion d’offre irrégulière pour une plus grande clarté du concept de « l’offre inacceptable » qui devient uniquement « une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché tels qu’ils ont été déterminés et établis avant le lancement de la procédure. » Même si cette définition ne semble pas en adéquation parfaite avec celle de l'article 26 de la directive 2014/24, pour laquelle les offres inacceptables sont aussi des « offres présentées par des soumissionnaires dépourvus des capacités requises ».1.4 Des marchés de services par principe soumis au droit commun En effet, transposant en cela la directive, le projet de décret supprime l’ancienne et désuète distinction entre marché de services strictement listés par l’article 29 de l’actuel Code des marchés publics et soumis au régime commun et tous les autres marchés de services visés par l’article 30 du code pouvant donner lieu à une procédure adaptée, quel que soit le montant. Tous les marchés de services sont désormais soumis au régime commun, sauf les services sociaux et autres services spécifiques (dont la liste sera publiée au Journal officiel mais qui devrait correspondre à celle de l’annexe XIV de la directive, dont les services juridiques autres que ceux de représentation), qui, comme l’indique l’article 28 du projet, « quelle que soit la valeur estimée du besoin […] peuvent être passés selon une procédure adaptée ».
II. Des nouveautés qui méritent des corrections
Comme dans tout projet, certains points méritent des critiques, c’est pourquoi ce projet est soumis à la consultation des praticiens. Deux dispositifs sont assez obscurs (les marchés de services juridiques et la définition du marché subséquent) et d’autres sont très clairs, mais risquent de complexifier grandement le déroulement des procédures. 2.1 Les marchés de services juridiques : des dispositions redondantes Dans le projet de décret, les marchés de « services juridiques hors représentation » sont soumis au même régime juridique de la procédure adaptée quel que soit le montant, que les marchés de « services juridiques de représentation » et font pourtant l'objet de deux articles différents. Les premiers relèvent de l’article 28 qui traite principalement des services sociaux et autres services spécifiques et les seconds relèvent de l’article 29 consacré exclusivement aux marchés de « services juridiques de représentation ».Certes, il existe une différence dans le cas des marchés de « services juridiques hors représentation », le titre IV (partie financière du projet) ne s’applique pas à l’exception de l’article 133 (cession de créance par le sous-traitant) dans le cas des marchés de « services juridiques de représentation » aucun article ne s’appliquent, sauf les articles 27,36, 100 et 134 (soit l’article sur les MAPA, celui sur une publicité librement adaptée, celui sur l’avis d’attribution et celui sur les avenants).Néanmoins, si cet article 29 du projet de décret devait rester en l’état, on voit mal pourquoi il fait l’objet d’un article spécifique. Peut-être qu’en prévision d’une censure de cet article, la DAJ du ministère des Finances a préféré isoler une disposition, source de contentieux, au détriment de la clarté.En effet, l’article 29 du projet qui vise les marchés de « services juridiques de représentation » et les soumet, comme dans l’actuel code, à la procédure adaptée, quel que soit le montant et en contradiction avec la directive 2014/24 qui les a formellement exclus de son champ d’application en son article 10 d. C’est d'ailleurs pourquoi le Conseil national des barreaux (CNB), la Conférence des bâtonniers et l’Ordre parisien ont introduit ensemble, le 18 septembre 2015, un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État contre l’ordonnance du 23 juillet 2015, qui ne prévoit pas en son article 14 l’exclusion des marchés de « services juridiques de représentation ». Une demande de référé suspension a également été introduite, mais le juge des référés du Conseil d’État, par une décision en date du 16 octobre 2015, n’a pas retenu d’urgence à suspendre l’ordonnance, non encore applicable.2.2 Un accord-cadre en même temps marché subséquentSi la redondance peut être reprochée concernant les marchés de services juridiques, il est des dispositions qui, en soi, manquent de clarté. Cela est particulièrement le cas avec l’accord-cadre et sa différence conceptuelle d’avec un marché subséquent.L’article 75-I, alinéa 4 du projet indique la possibilité d’une sorte d’accord-cadre mixte : « Un accord-cadre peut être exécuté en partie par la conclusion de marchés subséquents et en partie par l’émission de bons de commande […] ». Or, la définition du marché subséquent donné à l’article 76 paraît maladroite en son alinéa 2. L’article 76 indique que : « I – Les marchés subséquents sont des documents écrits qui précisent les caractéristiques et les modalités d’exécution des prestations demandées qui n'ont pas été fixées dans l’accord-cadre. Ils ne peuvent entraîner des modifications substantielles des termes de l’accord-cadre. II – Les marchés subséquents peuvent prendre la forme d’un accord-cadre fixant toutes les conditions d’exécution des prestations et exécuté au moyen de bons de commande dans les conditions fixées à l’article 77. »Un accord-cadre à bons de commande est donc un marché subséquent ; l’articulation des concepts entre accord-cadre et marché subséquent semble contradictoire. Il aurait été préférable qu’il ne soit pas défini de marchés subséquents en cas de d’accord-cadre à bons de commande.2.3 La fin de l’intangibilité des offres et la complexification du déroulement des procéduresPlus inquiétante et révolutionnaire est la disposition prévue à l’article 56, alinéa II, qui autorise la régularisation des offres irrégulières dans les appel d’offres et les procédures adaptées sans négociation. Le principe d’intangibilité des offres qui interdisait toute modification de l’offre est assouplie. Une offre financière devrait donc pouvoir évoluer dans la mesure où, comme le précise le dernier alinéa de l’article 56, « la régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres. »Cet assouplissement de la notion d’intangibilité des offres avait été amorcé, pour les marchés à prix unitaires, par le Conseil d’État. Dans sa décision du 21 septembre 2011, Département des Hauts-de-Seine, celui-ci a autorisé la correction d’une erreur matérielle affectant un prix unitaire au vu de son « incidence négligeable [...] sur le montant global de l’offre de l’intéressée ». Si on ajoute à cet assouplissement du principe d’intangibilité des offres les dispositions de l’article 52 qui autorisent la vérification des candidatures après la sélection des candidatures voire même le classement des offres et celle de l’article 65 qui permet d’examiner les offres avant les candidatures, ce sont tous les repères structurant la compréhension des procédures qui sont mis à mal.Sources :