Spécificités des critères d’attribution dans le cadre des marchés à procédure adaptée
Quand bien même les procédures adaptées ne sont pas, par définition, réglementées par le Code des marchés publics, elles doivent respecter les principes fondamentaux posés à l’article 1er de celui-ci. Aussi, la jurisprudence définit des règles communes aux procédures formalisées et aux procédures adaptées. Tel était le cas, par exemple, pour les critères d’attribution des offres dont le régime juridique semblait identique. Mais si les articles 52 et 53 du Code des marchés publics sur la sélection des candidatures et l’attribution des marchés paraissent opposables aussi bien aux procédures adaptées qu’aux procédures formalisées, le Conseil d’État institue actuellement une lecture plus souple de ces articles à l’égard des procédures adaptées. Ce faisant, il consacre une pratique existante de la part des pouvoirs adjudicateurs, tout en l'encadrant.
I. Opposabilité de l’article 53-I du Code des marchés publics aux MAPA
Les critères d’attribution sont abordés à l’article 53 du Code des marchés publics. Cependant, l’article 53 s’applique-t-il aux marchés à procédure adaptée (MAPA) ? Si l’ancien Code des marchés publics énumérait les dispositions applicables aux procédures adaptée, ce n’est plus le cas depuis 2006, à l'exception de quelques dispositions qui excluent parfois explicitement de leur champ d'application les procédures adaptées. Tel est le cas du II de l’article 53 qui précise que pour les procédures formalisées, le pouvoir adjudicateur doit pondérer ses critères. Cette précision laisse à penser que l’article 53-I, qui propose une liste de critères, non limitative, pour sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse, s’applique bien aux procédures adaptées. Comme le disent Philippe Schmidt et Laure Thierry dans leur ouvrage Les marchés à procédure adaptée (Berger-Levrault, 2011, p. 77) : « Il faut donc retenir que les articles du Code des marchés publics sont applicables par principe aux marchés conclus selon une procédure adaptée, à moins qu’une disposition expresse en exclut ou en aménage l’application ». Ainsi, l’article 53-I et, par voie de conséquence, l’article 52 sur la sélection des candidatures s’appliquent bien aux MAPA.Par ailleurs, la jurisprudence Bertelé du Conseil d’État en date du 19 décembre 2006 distingue bien les critères d’attribution de l’article 53 de ceux permettant de sélectionner les candidatures de l’article 52 et sanctionne le fait d’utiliser comme critère d’attribution des offres l’expérience et les références d’un candidat, car ces données relèvent de l’analyse de la candidature et non de l’offre. Même si la décision Société Bertelé visait un appel d'offres ouvert, l’apport de l’arrêt semblait concerner l’ensemble des procédures marchés publics. Le régime juridique concernant les critères d’attribution est alors identique, que la procédure concernée soit une procédure formalisée ou une procédure adaptée.
II. Consécration jurisprendentielle de la référence aux pratiques professionnelles
Une petite révolution est survenue par une décision du 6 mars 2009, Commune d’Aix-en-Provence, confirmée récemment par l'arrêt Parc naturel régional des Grands Causses rendu le 2 août 2011. Par ces deux décisions, le Conseil d’État autorise à utiliser le critère de l’expérience du candidat comme critère d’attribution des offres dans le cadre d’un MAPA, dans la mesure où la sélection des candidatures puis celle des offres sont effectuées au cours d'une phase unique. Depuis longtemps, les pouvoirs adjudicateurs avaient tendance à considérer, dans le cadre des petits achats et des MAPA, les références et l’expérience du candidat comme un critère d’attribution sous couvert de la qualité d’une offre ou en en faisant un sous-critère. Le Conseil d’État a donc avalisé ces pratiques pour les MAPA, tout en les encadrant.Le considérant de principe de l’arrêt Commune d’Aix-en-Provence est très clair : « Considérant en premier lieu que dans le cadre de la procédure adaptée, il est loisible au pouvoir adjudicateur d'examiner, au cours d'une phase unique, la recevabilité des candidatures et la valeur des offres ; qu'ainsi, la commune d'Aix-en-Provence pouvait en tout état de cause retenir, pour choisir l'offre économiquement la plus avantageuse, le critère tiré de l'expérience du candidat dans les domaines objets des différents lots du marché ; qu'il en résulte qu'en annulant la procédure sur le premier motif tiré de ce que la commune aurait introduit, parmi les critères d'appréciation de la valeur des offres, des exigences relatives à la sélection des candidatures devant faire l'objet d'une phase distincte, le juge des référés précontractuels a commis une erreur de droit ».
III. L’expérience du candidat : critère d’attribution sous conditions
Dans son arrêt Parc naturel régional des Grands Causses du 2 août 2011, le Conseil d'État, tout en confirmant la possibilité d'utiliser l'expérience du candidat comme critère d'attribution du marché, l'a assortie de conditions : « que ces dispositions permettent au pouvoir adjudicateur de retenir, en procédure adaptée, pour choisir l'offre économiquement la plus avantageuse, un critère reposant sur l'expérience des candidats, et donc sur leurs références portant sur l'exécution d'autres marchés, lorsque sa prise en compte est rendue objectivement nécessaire par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser et n'a pas d'effet discriminatoire ».On peut s’étonner de la condition de « non-discrimination » à l’emploi du critère de l’expérience des candidats, dans la mesure où les critères de choix des offres sont par nature discriminatoires car ils visent à choisir une offre au détriment des autres. La communication interprétative de la Commission relative aux marchés non soumis aux directives marchés publics évoque d’ailleurs, au sujet de la décision d’attribuer un marché, du respect des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement. Ici, la non-discrimination se conçoit sous l’angle de l’égalité de traitement des candidats. Aussi, l’aspect discriminatoire visé par le Conseil d’État dans sa décision Parc naturel régional des Grands Causses peut être interprété comme l’atteinte au principe d’égalité des candidats lorsque l’emploi de l’expérience comme critère d’attribution a pour effet de conférer un avantage déterminant au candidat ayant le plus d’expérience.Ces restrictions d’emplois ne sont pas à considérer à la légère, ainsi que l'a rappelé la cour administrative d’appel de Douai, à l'occasion d'une affaire concernant l’office municipal de tourisme de Berck-sur-Mer. Ce dernier, pour attribuer un MAPA concernant l’organisation des rencontres internationales de cerfs-volants, avait décidé d'allouer 60 points à l’expérience des candidats et 40 points pour le prix des prestations. Logiquement, le seul candidat ayant déjà organisé en France le championnat du monde des cerfs volants se retrouve attributaire du marché. La cour administrative d’appel de Douai sanctionne l’avantage excessif accordé à ce candidat : « La définition d’un tel critère ne peut se faire en méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats à la commande publique fixé par l’article 1er du Code des marchés publics précité, applicable aux marchés conclus dans le cadre d’une procédure adaptée ». Sources :
- CE, 2 août 2011, Parc naturel régional des Grands Causses, n° 348254
- CAA Douai, 7 juin 2011, Office municipal de tourisme de Berk-sur-Mer, n°10DA00232
- CE, 6 mars 2009, Commune d'Aix-en-Provence, n° 314610
- CE, 19 décembre 2006, Société Bertelé, n° 273783
- Communication interprétative de la Commission relative au droit communautaire applicable aux passations de marchés non soumises ou partiellement soumises aux directives « marchés publics » (2006/C 179/02)