L’accès des PME à la commande publique au regard de la réforme !
Parce que les marchés publics représentent 190 milliards d’euros par an, ils sont perçus comme une opportunité d’agir en matière d’emplois. Les hommes et femmes politiques ne s’y trompent pas en cette période électorale. Les marchés publics sont devenus un thème à la mode, un outil tangible à leur disposition pour demain résorber le chômage. Ainsi, exemple le plus flagrant, celui du candidat Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Économie, qui propose de réserver 80 % des marchés publics aux PME françaises.
C’est l’occasion de faire le point sur la réforme des marchés publics sous l’angle de l’accès des PME à la commande publique.
I. L’impossible discrimination en raison de la nationalité
Réserver 80 % des marchés publics aux PME françaises est juridiquement impossible au regard du principe européen de libre concurrence et de non-discrimination. La CJUE par un arrêt du 3 juin 1992 (CJCE, 3 juin 1992, Commission c/ République italienne, C 360/89) censure comme discriminatoire le fait de réserver des marchés publics aux entreprises ayant leur siège social dans la région où ils doivent être exécutés. Ce principe de non-discrimination a acquis de plus une valeur constitutionnelle par la décision du 26 juin 2003 du Conseil constitutionnel.Répondant à cette critique, Arnaud Montebourg explique qu’il préconise des quotas de fait et non de droit. Ces quotas de fait devant résulter d’une politique d’achats utilisant les clauses RSE, les clauses de proximité sociale et en allotissant de façon pertinente. Pour pouvoir mener ce type de politique d’achats, il prône la mutualisation centralisée des achats.Dans cette optique, il propose de remplacer les 132 000 acheteurs par 200 structures d’achats sur le territoire. Au moins une par région, rassemblant les collectivités locales, ou plusieurs par spécialités d’achats et d’octroyer à l’Union des groupements d'achats publics (Ugap) le monopole pour les marchés de fournitures, de services et de travaux de l’État et des établissements hospitaliers et médico-sociaux. Sauf que la centralisation des achats et sa mutualisation ont généralement pour corollaire une massification globale des achats avec certes des économies d’échelle mais au détriment des PME.
II. L’allotissement, seul vrai moyen de favoriser les PME françaises
Cependant, comme semble l'oublier l'ancien ministre de l’Économie, favoriser l’accès des marchés publics aux PME, certes sans discrimination de nationalité, est clairement un objectif de la directive européenne 2014/24 (voir considérant 2 de la directive).
L’allotissement en est l’outil phare, puisque qu’il permet, en scindant les besoins des acheteurs en des contrats plus petits, que les entreprises à tailles correspondantes puissent soumissionner directement et non en tant que sous-traitant d’une grande entreprise. Nul besoin d’ailleurs de discriminer en fonction de la nationalité, implicitement, favoriser les PME favorise le local : on ne se déplace de loin que pour des marchés d’une certaine importance. Or l’ordonnance du 23 juillet 2015 transposant la directive européenne 2014/24 a mis en avant l’obligation d’allotissement.Par son article 32, l’ordonnance pose en effet une obligation générale d’allotissement qui devient opposable à l’ensemble des acheteurs puisque les acheteurs qui dépendaient précédemment de l’ordonnance du 6 juin 2005 n’étaient pas soumis à l’obligation d’allotissement. Celle-ci est, de plus, renforcée par l’article 12 du décret relatif aux marchés publics qui oblige l’acheteur à justifier, soit dans les documents de la consultation, soit dans le rapport de présentation, le recours aux exceptions à l’allotissement listées par l’article 32 de l’ordonnance.
II. La réforme des marchés publics : un pas en avant, deux pas en arrière pour les PME
Cependant la Directive elle-même dans un même mouvement ouvre la possibilité des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être attribués, soi-disant afin de ne pas dissuader les acheteurs d’allotir. Ironie, le dispositif des offres dites « variables » avait été abandonné lors de la réforme du Code des marchés publics de 2001 afin de favoriser l’accès des PME à la commande publique, puisque dans ce contexte, c’est la grande entreprise qui se retrouve avantagée car dimensionnée en moyens humains et matériels pour proposer une offre globale et plus solide financièrement pour diminuer ses marges et diminuer son prix. Cette disposition des offres dites « variables » se retrouve à l’article 32 de l’ordonnance et logiquement a fâché les PME. Ce qui a poussé les sénateurs à vouloir retirer ce point à l’occasion de la ratification de l’ordonnance. Autre pomme de discorde, le recours facilité aux marchés de partenariat par la suppression des conditions de complexité et d’urgence (voir art. 75 de l’ordonnance), alors que le Conseil constitutionnel avait clairement affirmé que le partenariat public privé (ex-PPP) mettait en cause l’égalité d’accès à la commande publique notamment pour les PME et qu’il devait rester dérogatoire (voir décision précitée du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003).
Sources :
- CJCE, 3 juin 1992, Commission c/ République italienne, C 360/89
- Cons. const., 26 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, Décision n° 2003-473 DC
- « Marchés publics : “Je propose des quotas PME de fait, pas des quotas de droit” » – Interview d'Arnaud Montebourg, Le Moniteur, 8 septembre 2016
Publié le 29 septembre 2016 (Lettre Légibase Marchés publics, n° 162)