Méthode de notation des offres et neutralisation des critères : la liberté de l’acheteur public a des limites
Il n’est pas rare que le juge administratif sanctionne des méthodes de notation des offres irrégulières. Chaque nouvel arrêt du Conseil d’État en la matière prend donc la forme d’un appel à la vigilance pour les acheteurs publics. En effet, si ceux-ci restent parfaitement libres de définir la méthode de notation qu’ils entendent mettre en œuvre pour chacun des critères de sélection des offres, cette liberté doit être utilisée à bon escient. Tel n’est pas le cas lorsqu’une méthode de notation prive de leur portée les critères de sélection ou neutralise leur pondération : c’est ce qu’a jugé le Conseil d’État dans un arrêt du 24 mai 2017.
Les jurisprudences relatives aux méthodes de notation des offres ne sont pas isolées. Ainsi, le juge administratif rappelle régulièrement que celles-ci sont entachées d'irrégularité si elles sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et, de ce fait, susceptibles de conduire pour la mise en œuvre de chaque critère à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ou à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie (CE, 29 oct. 2013, n° 370789, Office public d'habitat Val d'Oise Habitat).
À cet égard, en ce qui concerne plus précisément le critère du prix, le Conseil d’État a déjà à plusieurs reprises sanctionné des méthodes irrégulières, retenant par exemple que l’application d’une formule mathématique ne devait pas conduire à dénaturer une analyse des offres en neutralisant les écarts entre les prix de sorte que les offres ne pouvaient être différenciées qu'au regard des autres critères de sélection (CE, 3 nov. 2014, n° 373362, Commune de Belleville-sur-Loire).
Le cas qui s’est présenté devant le Conseil d’État s’inscrit dans la suite logique de la jurisprudence Commune de Belleville-sur-Loire susmentionnée. L'Atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Clermont-Ferrand avait engagé une procédure d'appel d'offres restreint en vue de l'attribution d'un marché de prestations de bourrellerie aéronautique. Trois critères avaient été fixés par le pouvoir adjudicateur : le prix (60 %), la valeur technique (30 %) et la politique sociale (10 %). Or, en ce qui concerne le critère du prix, la méthode de notation choisie conduisait automatiquement à l’attribution d’une note maximale de 20 à l’offre la moins-disante et à une note de 0 à l’offre la plus onéreuse.
Sans surprise, le Conseil d’État considère qu’en retenant une telle méthode de notation pour l'attribution du marché litigieux, le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de mise en concurrence. En effet, compte tenu de la pondération élevée du critère prix, l’attribution de la note de 0 à l’offre la plus onéreuse a pour effet de l’éliminer automatiquement, quel que soit l'écart entre son prix et celui des autres offres et alors même qu'elle aurait obtenu les meilleures notes sur les autres critères. Cette méthode neutralise donc les autres critères, et peut ainsi avoir pour effet d'éliminer l'offre économiquement la plus avantageuse au profit de l'offre la mieux-disante sur le seul critère du prix.
Un parallèle doit être établi avec une autre décision, récente, de la cour administrative d’appel de Paris, qui considère irrégulière une formule de notation conduisant à attribuer la note maximale au candidat ayant proposé le meilleur prix, et une note nulle au candidat ayant proposé l’offre la plus onéreuse, quel que soit l’écart de prix entre les deux offres (CAA Paris, 8 févr. 2016, n° 15PA02953, Société RJ 45 Technologies).
Toutefois en l’espèce, le candidat évincé, bien qu’ayant mis en évidence l’irrégularité de cette méthode de notation peu commune, voit sa requête rejetée. En effet, il avait obtenu une note inférieure à celle de la société attributaire du marché sur les critères du prix et de la valeur technique, ainsi qu’une note égale sur le critère social. Il n’a donc pas pu être lésé par le manquement mis en évidence dès lors qu’il n’était, quelle que soit la méthode de notation retenue, pas susceptible de se voir attribuer le marché litigieux.
En conclusion, cette décision du Conseil d’État ne doit pas s’apprécier isolément : elle s’inscrit de manière logique et cohérente dans une jurisprudence qui, de manière constante, sanctionne les méthodes de notation qui ne restituent pas fidèlement les avantages et les inconvénients des offres au regard des critères et des pondérations définis préalablement par le pouvoir adjudicateur. Elle encourage donc les acheteurs publics à une vigilance toute particulière au moment de l’établissement de leurs méthodes de notation.
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