Les méthodes de notation ne sont plus à négliger !

Par Laurent Chomard

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Après les critères et les sous-critères, les méthodes de notation sont de plus en plus remises en cause par les candidats évincés et le juge n’hésite plus à contrôler la pertinence de la formule mathématique ou le bien-fondé d’une simulation d’achat opérée par le pouvoir adjudicateur pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse.

La notion de méthode de notation est issue de la jurisprudence nationale qui l’évoque sans la définir strictement, selon le rapporteur public Bertrand Dacosta : « La méthode de notation consiste à attribuer une valeur chiffrée à une prestation au regard d’un critère donné » (« Critères, sous-critères et méthode de notation : une distinction délicate ? », Contrats Publics, p. 35).

Nous étudierons dans un premier temps la distinction entre critère, sous-critère et méthode de notation (I), puis nous aborderons le renforcement du contrôle de principe du juge sur les méthodes de notation depuis la jurisprudence SAS Cophignon du 25 mars 2013 (II), et enfin, les différentes décisions du Conseil d’État concernant la pertinence des méthodes de notation du critère du prix (III).

I. Les délicates frontières entre critère, sous-critère et méthode de notation

La règle d’or de la transparence posée par l’arrêt Viaggi di Maio de la CJUE impose que « tous les éléments pris en considération par le pouvoir adjudicateur pour identifier l’offre économiquement la plus avantageuse et, si possible, leur importance relative soient connus des soumissionnaires potentiels au moment de la préparation de leurs offres ». Cette règle a été reprise par le Conseil d’État lors de sa décision ANPE du 30 janvier 2009, en établissant qu’« il appartient au pouvoir adjudicateur d’indiquer les critères d’attribution du marché et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l’objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné ». Au nom de ce principe de transparence, les acheteurs se sont mis à utiliser des sous-critères pour définir les critères aux contours flous comme la valeur technique ou le critère esthétique. La jurisprudence comme la doctrine ont consacré cette pratique : ainsi la circulaire d’application du Code des marchés publics du 14 février 2012, en son point 15.1.1.2, précise que les règles du jeu applicables, devant être connues à l’avance par les soumissionnaires, imposent à l’acheteur public de définir, avec précision, ce qu’il entend par ces critères en ayant recours à des sous-critères.Il nous semble pertinent de relever au passage que la définition d’un critère peut prendre une autre forme que l’établissement de sous-critères. Rien n’interdit par exemple de renvoyer la définition d’un critère au contenu des éléments demandés au titre de l’offre, même si dernièrement des cours administratives d’appel ont considéré que cela équivalait à faire usage de sous-critères (voir, par exemple, CAA de Nantes, 20 juillet 2012, Communauté d'agglomération Bourges Plus, n° 10NT01815 ou CAA Douai, 16 novembre 2012, Lille Métropole Habitat, n° 11DA01162). Il faut relever qu’en l’espèce les pouvoirs adjudicateurs, sur la base de l’énumération des éléments demandés au titre du mémoire justificatif permettant de juger la valeur technique des offres, avaient établi une grille de notation correspondante. En serait-il allé autrement si le pouvoir adjudicateur n'avait pas établi de grille de notation en corrélation directe avec les éléments descriptifs du mémoire ? La question se pose.Néanmoins, au fil de la jurisprudence, il est acquis que les sous-critères sont traités comme des critères de sélection s’ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres ou sur leur sélection (CE, 18 juin 2010, Commune de Saint-Pal-de-Mons, n° 337377) et doivent en conséquence être portés à la connaissance des candidats alors que la méthode de notation n’a pas à faire l’objet de la même information (CE, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, n° 334279 ; CE, 23 mai 2011, Commune d’Ajaccio, n° 339406 ; CE, 2 août 2011, Syndicat mixte de la vallée de l’Orge Aval, n° 348711).Il en ressort que la problématique de la frontière entre critère et sous-critère s’est déplacée vers celle de la différence entre critère d’attribution et méthode de notation. Or, la requalification par le juge de la méthode de notation en sous-critère lui permet de contrôler et de sanctionner la méthode de notation elle-même.

II. Vers un contrôle accru des méthodes de notation

Le Conseil d’État, par une décision du 25 mars 2013, SAS Cophignon et OPHLM des Ardennes, a récemment tracé la frontière entre critère d’attribution et méthode de notation en affirmant que, « pour évaluer le prix de l'offre, le pouvoir adjudicateur a eu recours à des éléments d'appréciation pondérés, [circonstance qui] ne saurait conduire, à elle seule, à qualifier ces éléments de sous-critères de sélection assimilables à des critères », « la pondération de ces deux éléments étant destinée à établir le prix de l'offre et ne manifestant pas l'intention du pouvoir adjudicateur d'accorder à l'un d'entre eux une importance particulière ». Par là-même, le Conseil d’État, en tant que juge de cassation, exerce ici un contrôle de la qualification juridique des faits qui restreint substantiellement le pouvoir discrétionnaire qu’avait le pouvoir adjudicateur en matière de méthode de notation. Cette jurisprudence semble consacrer la définition d’un critère portée par le rapporteur public, Gilles Pélissier, dans ses conclusions sur ce même arrêt comme étant « un élément caractéristique de l’offre et l’intention du pouvoir adjudicateur de le valoriser particulièrement ».La méthode de notation consiste alors à comparer les offres de façon la plus neutre possible, à l’aune des critères, c'est-à-dire des éléments de l’offre sur lesquels le pouvoir adjudicateur a exprimé une attente et qui concourent à la désignation de l’offre économiquement la plus avantageuse. La méthode de notation ne doit plus permettre au pouvoir adjudicateur d’affiner son choix sur les éléments de l’offre qu’il entend privilégier au dernier moment. Au vu des pratiques des pouvoirs adjudicateurs, il nous semble que ceux-ci devront par précaution publier leur méthode de notation au risque de voir ces éléments requalifiés en sous-critères et, dans la mesure où ceux-ci seront prépondérants, en critères qui auraient dû être publiés dans les documents de la consultation.

III. Le contrôle des méthodes de notation concernant le critère du prix 

Ce contrôle toujours plus poussé des opérations de sélection des offres par le juge se manifeste tout particulièrement au sujet du prix, pourtant le critère le plus neutre et le moins subjectif de tous.Ainsi, le juge sanctionne les formules de notation permettant l’octroi de notes négatives ou supérieures à la note maximum (CE, 18 décembre 2012, Département de la Guadeloupe, n° 362532) ou une méthode d’analyse des prix rendue inopérante selon les caractéristiques des offres reçues (CE, 19 avril 2013, Ville de Marseille, n° 365340).Le Conseil d’État pose comme principe, dans une décision du 29 octobre 2013 (Office public d'habitat Val d'Oise Habitat, n° 378709), que la méthode de notation du critère du prix doit permettre d'attribuer la meilleure note au candidat ayant proposé le prix le plus bas. Aussi, il censure la méthode ayant pour effet d'attribuer la note la plus faible au candidat ayant présenté le prix le plus éloigné de l'estimation du pouvoir adjudicateur, que ce prix soit inférieur ou supérieur à l'estimation. Dans cette affaire, l’attributaire du marché qui a eu la note maximale n’était pas celui dont la proposition de prix était la plus basse.En revanche, le juge consacre la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’utiliser une méthode de notation qui attribue automatiquement la note maximale au candidat ayant présenté la meilleure offre (CE, 15 février 2013, Société SFR, n° 363854) ou celle du « chantier masqué » qui permet au pouvoir adjudicateur de départager des candidats au moyen d’une simulation portant sur des prix unitaires et forfaitaires (CE, 2 août 2011, Syndicat mixte de la vallée de l’Orge Aval, n° 348711).Pour conclure, il convient de souligner que le rapporteur public Bertrand Dacosta considère, dans ses conclusions sur l’arrêt précité (CE, 2 août 2011, Syndicat mixte de la vallée de l’Orge Aval, n° 348711), que certains critères comme le critère du prix ne peuvent être par nature décomposés en sous-critères et que par conséquent le pouvoir adjudicateur n’a jamais d’obligation de publicité en ce qui concerne les éléments permettant d’apprécier le critère du prix.Sources :