Sans procédures de publicité ni de mise en concurrence, mais pas sans règles !
Pour transformer la défiance des petites et moyennes entreprises en confiance dans les marchés publics, le législateur tend à supprimer les procédures de publicité et de mise en concurrence pour les marchés d’un faible montant. Initialement, le plafond déterminé était de 4 000 euros HT. En 2008, le gouvernement a tenté de relever ce seuil à 20 000 euros HT, mais s’est heurté au Conseil d’État. Dans son arrêt Perez de 2010, le juge suprême avait en effet considéré qu’un plafond réglementaire aussi haut n’était pas conforme à l’exigence légale d’égalité d’accès à la commande publique ainsi qu’aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. C’est par la loi que la question a été tranchée : d’abord relevé à 15 000 euros HT en 2012, le plafond est désormais de 25 000 euros HT depuis le décret no 2015-1163 du 17 septembre 2015, et confirmée par l’ordonnance du 23 juillet 2015.
Deux règles cohabitent : en principe, les marchés sont passés selon des procédures qui respectent les principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement et de transparence des procédures mais par exception, ils peuvent s’en écarter pour les marchés d’un petit montant. S’en écarter, mais pas les oublier totalement toutefois, puisque certaines règles doivent être respectées (I) en utilisant certaines bonnes pratiques (II).
I. Les règles à respecter pour acheter sous 25 000 euros
La définition du besoin est la première étape de la passation d’un tel marché. Afin de préparer la passation d’un marché public, l’acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences.Les résultats de ces études et échanges préalables peuvent être utilisés par l’acheteur, à condition qu’ils n’aient pas pour effet de fausser la concurrence et n’entraînent pas une violation des principes fondamentaux de la commande publique. Cela implique par exemple que des mesures appropriées soient prises pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation à la procédure de passation du marché public d’un opérateur économique qui aurait eu accès, du fait de sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de cette procédure, à des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires.Ces opérations doivent permettre d’évaluer la valeur du besoin, apprécié comme un ensemble homogène. Concernant les marchés de travaux, sont ainsi prises en compte la valeur totale des travaux se rapportant à une opération ainsi que la valeur totale estimée des fournitures et des services mis à la disposition du titulaire par l’acheteur lorsqu’ils sont nécessaires à l’exécution des travaux. En matière de marchés de fournitures ou de services, il est procédé à une estimation de la valeur totale des fournitures ou des services qui peuvent être considérés comme homogènes soit en raison de leurs caractéristiques propres, soit parce qu’ils constituent une unité fonctionnelle.La direction des Affaires juridiques du ministère de l’Économie appelle à la plus grande prudence à cet égard. En effet, elle explique que « les acheteurs ne doivent pas découper le montant de leurs marchés, dans le seul but de bénéficier de l’allégement des obligations de publicité et de mise en concurrence, aux dépens de la sécurité juridique des contrats ainsi conclus. » Le « saucissonnage » est donc une pratique à bannir.Si la valeur estimée du besoin est inférieure au seuil de 25 000 euros posé par le décret du 25 mars 2016 (art. 30, 8°) ou pour les achats de livres non scolaires dont la valeur est inférieure à 90 000 euros HT, les procédures sont radicalement simplifiées.En premier lieu, le marché n’est pas soumis aux règles de publicité et de mise en concurrence. Il peut donc être passé selon toutes modalités qui semblent utiles au pouvoir adjudicateur : sollicitations et explications orales, échanges de courriers, analyse des offres hors de la commission d’appel d’offres comme par exemple en bureau ou par demande des services, etc.Parmi les simplifications importantes figure la dérogation au principe du formalisme écrit du marché, en deçà de 25 000 euros : la conclusion orale d’un contrat, comme cela est de facto le principe en droit civil, est utilisable.Toutefois, si le pouvoir adjudicateur décide d’utiliser une procédure adaptée, il en a le droit mais se doit de s’y conformer jusqu’à son terme.
II. Les bonnes pratiques à mettre en œuvre
Un marché sans obligation de procédure très contraignante est-il libre pour autant ? Pour les marchés d’une valeur inférieure à 25 000 euros, le décret du 25 mars 2016 impose que le pouvoir adjudicateur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin. Pour les achats de livres non scolaires, le décret impose en plus de ces bonnes pratiques de tenir compte de l’impératif de maintien sur le territoire d’un réseau dense de détaillants qui garantit la diversité de la création éditoriale et l’accès du plus grand nombre à cette création.Une première bonne pratique à mettre en œuvre, lorsque ce type de marché est passé à l’écrit, est de rappeler à titre liminaire ces obligations dans le contrat. Si cet aspect formaliste n’a évidemment aucun effet sur la légalité de la passation, il permettra aux candidats évincés, aux personnes qui avaient intérêt à candidater et surtout au juge de remarquer que le pouvoir adjudicateur a bien connaissance des règles applicables en la matière.Une deuxième bonne pratique est le suivi et l’archivage de toutes les pièces (comptes-rendus des réunions permettant d’évaluer la valeur du besoin, devis, factures, échanges de courrier, procès-verbaux de l’analyse de la pertinence des offres…) qui ont permis la conclusion du contrat, qu’il soit écrit ou oral. En effet, ce n’est qu’à l’aune de ces éléments matériels qu’il sera possible d’apprécier si la dépense publique occasionnée est légale. Rappelons à cet égard que la mission première du trésorier, comptable des personnes publiques, est de contrôler notamment la justification du service fait, l’intervention des contrôles préalables prescrits par la réglementation et la production des pièces justificatives (D. n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, art. 20).Réunir ces pièces justificatives nécessite que soient sollicitées puis comparées des offres, hors des procédures strictes que l’on retrouve au-dessus du seuil de 25 000 euros. Si la pratique du sourcing est ouvertement autorisée, les limites de sa pratique sont encore floues, en l’absence d’éclairage jurisprudentiel sur l’article 4 du décret. Reste qu’elle doit être utilisée le plus librement possible, afin de respecter les obligations posées par l’article 30 du même décret ! Par exemple, la sollicitation régulière d’acteurs économiques (locaux ou non), permettant de tenir à jour une sorte de « catalogue » des prestations disponibles et à quel prix, est envisageable à cet égard. Elle permettra de connaître l’écosystème existant et la pertinence potentielle des offres, tout en assurant que plusieurs opérateurs économiques bénéficieront de l’attribution de marchés.Sources :
- CE, 10 février 2010, Perez, no 329100
- D. n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, art. 20
- D. n° 2016-360 du 25 mars 2016, art. 4 et 30, 8° et 9°
Lire également sur Légibase Marchés publics :
- « Le "sourcing" des marchés publics ! » – La lettre Légibase Marchés publics, no 127
Publié le 13 octobre 2016 (Lettre Légibase Marchés publics n° 163)